Une gamine en fugue dans un pays en crise, ou l’histoire douloureuse et néanmoins drôle du passage de l’enfance à l’adolescence. Quand le spectacle démarre, la mère de Girafe est déjà morte. Et son père, comédien au chômage, n’a plus d’argent pour payer la télé câblée dont elle a besoin afin de préparer son exposé. Aussi part-elle, en compagnie de son ours en peluche, en quête de la somme nécessaire pour payer l’abonnement à travers Lisbonne où elle découvrira, au fil de ses rencontres, une ville broyée par les politiques d’austérité. Quand il a écrit sa pièce, l’auteur portugais ne la destinait pas spécialement aux enfants. Le metteur en scène, qui l’a créée en 2018, en a fait un spectacle pour tous sur ce que grandir veut dire dans une Europe en crise. Parce que, oui, l’économie ce n’est pas que pour les grands : les enfants ne sont pas indemnes des crises que traversent les sociétés. Ce qui n’empêche pas l’humour de traverser cette histoire.
Sommaire
ToggleLe début de l’odyssée : une girafe en fuite
Le point de départ de cette fable moderne est à la fois simple et tragique. Une jeune fille, surnommée Girafe en raison de sa grande taille, doit faire un exposé sur la vie des girafes pour l’école. Un obstacle de taille se dresse devant elle : le service de télévision par câble, essentiel pour regarder les documentaires animaliers, a été coupé faute de paiement. C’est le déclencheur d’une aventure qui la poussera bien au-delà des murs de son appartement.
Un foyer brisé par le deuil et la précarité
Le contexte familial est lourd. La mère est décédée, laissant un vide immense et un père aimant mais dépassé. Comédien sans emploi, il peine à joindre les deux bouts et à maintenir une illusion de normalité. La coupure du câble n’est que le symptôme visible d’une détresse financière bien plus profonde. Pour la jeune fille, cet exposé n’est pas un simple devoir scolaire ; c’est une mission, une façon de maintenir un lien avec un monde ordonné et compréhensible, loin du chaos de sa propre vie.
La fugue comme acte de résistance
Face à l’impuissance de son père, la jeune Girafe prend une décision radicale. Elle ne se résigne pas. Armée de son courage et accompagnée de son seul confident, un ours en peluche nommé Judy Garland, elle quitte le domicile familial. Son objectif est clair : trouver les 92,54 euros nécessaires pour régler la facture. Cette fugue n’est pas un caprice, mais un acte de survie et de prise en main de son destin, une quête initiatique qui la confrontera à la dureté du monde extérieur. [bzkshopping template= »mini_grid » merchants= »amazon » count=3 keyword= »ours en peluche »]
Cette décision de s’aventurer seule dans la grande ville marque le véritable commencement de son voyage, une traversée de Lisbonne qui se révélera pleine de surprises et d’enseignements.
Voyage initiatique à travers Lisbonne : entre rêve et réalité
Une fois la porte de l’appartement claquée, la jeune fille plonge dans les rues de Lisbonne. La capitale portugaise devient alors le théâtre de son périple, un décor labyrinthique où son regard d’enfant se heurte sans cesse à une réalité bien plus complexe et souvent moins enchantée qu’elle ne l’imaginait.
Les pérégrinations d’une enfant dans la capitale
Son voyage n’est pas un simple déplacement géographique. C’est une exploration, une découverte sensorielle de la ville. Elle marche, observe, écoute. Chaque rue, chaque place, chaque bâtiment devient une étape de son odyssée personnelle. Le spectateur la suit dans ses pérégrinations, partageant son étonnement et ses interrogations. Le Lisbonne qu’elle traverse n’est pas celui des cartes postales ; c’est une cité vivante et blessée, dont les murmures racontent une histoire bien différente de celle des guides touristiques.
Un regard naïf sur un monde désenchanté
Le décalage est permanent entre la perception de l’enfant et la réalité socio-économique de la ville. Elle interprète ce qu’elle voit avec ses propres codes, sa propre logique enfantine. Une banque devient un château fort où l’argent est gardé prisonnier, un homme politique une sorte de magicien aux promesses vaines. Ce filtre de l’innocence crée des situations à la fois drôles et poignantes, soulignant par contraste l’absurdité et la dureté des situations que vivent les adultes qu’elle croise.
Cette errance dans la ville est surtout l’occasion de rencontres inattendues qui vont façonner sa compréhension du monde et de la crise qui le frappe.
Rencontres et découvertes : une ville en crise
Le voyage de la jeune Girafe est jalonné de rencontres. Ce sont ces interactions humaines qui constituent le cœur du récit et qui lui permettent de prendre la mesure de la crise qui frappe Lisbonne. Chaque personnage croisé est une facette de cette société en souffrance, un témoignage vivant des politiques d’austérité.
Une galerie de portraits touchants
Au fil de sa quête, elle dialogue avec une galerie de personnages hauts en couleur, tous affectés à leur manière par la situation économique. Elle croise le chemin d’un banquier mélancolique, d’un vieux monsieur qui a perdu sa panthère, ou encore du Premier ministre lui-même. Chacun lui livre un fragment de son histoire, une bribe de sa réalité. Ces rencontres sont souvent brèves mais intenses, et elles construisent peu à peu un portrait en mosaïque d’une ville où la débrouille et la solidarité tentent de survivre à la précarité.
L’économie expliquée aux enfants
La pièce réussit le tour de force de rendre des concepts économiques complexes accessibles à un jeune public. À travers les yeux de son héroïne, des notions comme la dette, la troïka ou l’austérité sont abordées de manière concrète et imagée. Le spectacle ne cherche pas à donner une leçon, mais à montrer les conséquences humaines de ces décisions politiques.
Secteur | Conséquence observée | Personnage rencontré |
---|---|---|
Emploi | Chômage de longue durée | Le père de Girafe (comédien) |
Services publics | Réduction des aides sociales | Un retraité en difficulté |
Culture | Baisse des subventions | Un artiste de rue |
Ces multiples visages de la crise nourrissent sa réflexion et la font grandir, la confrontant directement aux dualités de l’existence, entre l’abattement et la volonté de s’en sortir.
Vie d’une enfant en quête : entre tristesse et espoir
Au-delà de sa mission pragmatique de trouver de l’argent, le périple de la jeune fille est avant tout une quête intérieure. Elle navigue constamment entre la peine causée par la perte de sa mère et l’optimisme tenace qui la pousse à aller de l’avant. Son voyage est un cheminement émotionnel complexe, celui d’une enfant qui apprend à vivre avec ses fantômes.
Le poids du deuil et la force de l’espoir
La tristesse est un personnage à part entière dans cette histoire. Elle est palpable dans le silence du foyer, dans les souvenirs de la mère disparue. Pourtant, la pièce n’est jamais plombante. L’espoir est incarné par la détermination sans faille de son héroïne. Sa quête pour l’abonnement télé est une métaphore de sa quête de sens et de bonheur. Elle refuse de se laisser abattre par le chagrin ou les difficultés. Cette dualité est au cœur de son personnage :
- La tristesse : liée à l’absence maternelle et à la précarité de son père.
- L’espoir : incarné par sa mission, sa résilience et sa capacité à s’émerveiller.
- La colère : face à l’injustice qu’elle perçoit dans le monde des adultes.
Grandir dans un monde incertain
Le spectacle interroge brillamment ce que signifie grandir aujourd’hui, dans une société marquée par l’incertitude. La jeune Girafe est forcée de mûrir plus vite, de se confronter à des problèmes d’adultes. Son parcours illustre le passage de l’enfance à une forme de conscience adolescente, où l’on comprend que le monde n’est pas toujours juste et que les parents ne sont pas tout-puissants. C’est un apprentissage douloureux mais nécessaire, une perte d’innocence qui est aussi une conquête d’autonomie.
Pour traverser ces épreuves, elle peut compter sur une arme redoutable : sa capacité à transformer la réalité et à s’évader dans des mondes qu’elle se construit.
L’imaginaire au service de la résilience
Face à une réalité trop dure ou trop complexe, la jeune héroïne possède une ressource inépuisable : son imagination. C’est par ce prisme qu’elle décode le monde, qu’elle affronte ses peurs et qu’elle trouve la force de continuer son chemin. L’imaginaire n’est pas une fuite, mais un puissant outil de résilience.
Un ours en peluche pour confident
Son compagnon de route, l’ours en peluche Judy Garland, est bien plus qu’un simple jouet. Il est son confident, son alter ego, la voix de sa conscience. À travers lui, elle exprime ses doutes, ses colères et ses espoirs. Le dialogue constant avec cette peluche permet de matérialiser son monde intérieur foisonnant. C’est une astuce théâtrale brillante qui donne à voir la richesse et la complexité de la pensée enfantine, tout en offrant des moments de pure poésie. [bzkshopping template= »mini_grid » merchants= »amazon » count=3 keyword= »jouet pour enfant »]
Transformer le réel pour mieux y faire face
L’imagination de Girafe lui permet de réinterpréter les événements et de les rendre supportables. La quête des 92,54 euros devient une épopée héroïque. Les personnages qu’elle rencontre sont intégrés à son propre récit, devenant des alliés ou des obstacles dans une aventure digne d’un conte de fées moderne. Cette capacité à rêver et à transformer le réel est présentée non pas comme une faiblesse ou une immaturité, mais comme une véritable force, une stratégie de survie essentielle pour préserver son intégrité dans un monde d’adultes souvent absurde et décevant.
Cette puissance de l’imaginaire, combinée à la gravité des thèmes abordés, crée un mélange unique d’émotions où le rire vient sans cesse éclairer les situations les plus sombres.
Quand l’innocence côtoie l’austérité : rire et émotions au rendez-vous
La grande force de ce spectacle réside dans sa capacité à traiter d’un sujet aussi grave que l’austérité économique avec une légèreté et un humour décapants. Le rire n’est jamais gratuit ; il naît du décalage, de l’absurdité des situations et de la naïveté désarmante de son héroïne.
L’humour comme révélateur
Loin d’édulcorer la critique sociale, l’humour la rend plus percutante. Les dialogues sont ciselés, pleins d’esprit et de poésie. Les situations cocasses s’enchaînent, provoquées par l’incompréhension de l’enfant face au jargon technocratique ou aux comportements des adultes. Ce rire intelligent permet de prendre de la distance et de souligner avec encore plus de force l’absurdité d’un système qui broie les individus. C’est un humour qui fait réfléchir, qui émeut autant qu’il amuse.
Un spectacle universel pour petits et grands
Bien qu’il mette en scène une enfant, le spectacle s’adresse à tous. Les plus jeunes suivront avec passion l’aventure de cette héroïne courageuse et s’identifieront à sa quête. Les adultes, quant à eux, y trouveront une lecture à plusieurs niveaux : une critique sociale et politique fine, une réflexion sur la parentalité et une méditation poignante sur la perte de l’innocence. C’est la preuve que le théâtre jeunesse peut être exigeant, intelligent et profondément émouvant, capable de rassembler toutes les générations autour d’une histoire commune.
À travers le périple d’une jeune fille déterminée, cette pièce offre une exploration sensible et drôle des conséquences humaines d’une crise économique. Elle démontre avec brio que l’innocence et l’imagination sont des remparts puissants face à la dureté du monde, et que même dans les situations les plus sombres, l’espoir et l’humour peuvent tracer un chemin. C’est un conte moderne qui rappelle que les grandes questions de société sont aussi des histoires d’enfants.